08/12/2008

UN AUTRE BRESIL - OCT 2008 - Belem

Mutine, coquine, les cheveux tirés, serrés dans un petit chignon déjà gris, elle me regardait droit dans les yeux, en plein coeur. Je m’étais approchée pour capter son attention, dans le battement imperceptible de l'instant. Avant notre rencontre, je l'avais observée, son visage était sérieux, son regard balayait un lointain que seule elle imaginait. Elle était assise au milieu des autres femmes. Ensemble, elles vendaient des fleurs, des semences et des plantes odorantes pour la cuisine, ainsi que des petits sachets "à tout guérir". Il a suffi d’un sourire, d’un rire même, pour qu’elle se détende et partage avec moi, l’étrangère, un soupçon d’éternité.

Levées dès l’aube, elles avaient longuement vécu ces balances. Mais, bichonnées, astiquées avec soin, réglées avec minutie, elles continuaient à se produire sur les marchés, qui pesant les poissons, qui pesant les légumes ou les fruits avec une rigueur jamais contestée. Elles prétaient l'oreille aux conversations animées entre acheteurs et vendeurs, tout cela dans un fabuleux mélange d'odeurs et de saveurs.

Au marché Ver o Peso, échoppe de dentelles et de coton pour petites filles. Et j’imaginais dans leurs yeux ravissement et convoitise que ces vêtements coupés à leurs tailles susciteraient. Petites personnes dont la main attirerait celle de leur mère et tenteraient de la convaincre. Un visage souriant dans la pénombre me souhaitait la bienvenue, m'invitait à entrer.

Je ne l’ai pas aperçue tout de suite, puis je n’y ai pas cru. Mais si, la caissière était en « cage ». Elle se tenait bien à l’abri derrière les barreaux qui la protégeraient de toute tentative déraisonnable de la part de clients indélicats. Cependant, qui oserait s’approcher ? Il me sembla qu’elle n’était pas femme à se laisser faire !

Sympa le poissonnier, casquette vissée sur sa tête ! Il haranguait le chaland, l’incitait de la voix, du geste à venir renifler la fraîcheur de ses poissons. C’est certain il n’était pas possible de l’éviter. Yeux fermés, nous aurions pu nous diriger jusqu’à lui, rien qu'à l'odeur. Indiqué sur des pancartes de papier journal, le prix des ces produits de la mer y était inscrit en real, la monnaie brésilienne.

Ananas, pastèques, melons d’eau … et autres délices sucrés, fugue gourmande dans ce superbe marché. Il nous fut même permis d’y goûter. C’était presque la hotte fruitière d’un Père Noël jardinier qui ne serait pas venu de Finlande, mais d’un pays de soleil.

Au marché "Ver o Peso" de Belem, la vieille femme préparait son étal, découpait ses parts de viande pour attirer le chaland vorace. L'on pouvait se demander, tant elle était décharnée, si elle-même s'accordait le droit d'en manger un morceau.


Il y avait une certaine animation dans les rues de Belem inondées de soleil, bordées d’une multitude de petites boutiques, à l’intérieur desquelles régnait un charmant fouillis, parfois quelque peu déconcertant.

Un bus stationnait dans l’avenue perpendiculaire à la cathédrale, qui portait encore les décorations de la Fête de Santa Nazaret. Collée à lui, un forain retenait sa minuscule baraque ambulante, juchée en équilibre sur ses deux roues. L’avait-il accrochée à l’arrière du bus superbement peint ? Attendait-il que la voie se dégage ? Se dissimulait-il à mon objectif ? Et surtout, que pouvait-il bien avoir à l’intérieur de la petite échoppe ?

Il dormait là, sa tête appuyée sur un sac qui devait contenir ses maigres richesses. Pour chambre il avait la rue dont le bruit ne semblait pas le déranger. Pour couche il avait la dureté d’un trottoir, pour s’éclairer le soir il avait le ciel au-dessus de sa tête. Les murs s’écaillaient autour de lui mais il n’en avait cure. Il dormait là, parce que c’était son seul univers aux espérances écornées.

Belem est située sur la rive du fleuve Amazone, on la nomme aussi Cidade das Mangueiras en portugais, la cité des manguiers, tant ses rues en regorgent. La région où elle se situe était à l'origine peuplée par des indiens tupinamba. La forte croissance de la production de caoutchouc, extrait de l'hévéa, engendrera une vague d’immigration d'origine portugaise, chinoise, française, japonaise, espagnole, allemande et d'autres encore. Ce qui explique son étonnante architecture foisonnante mêlée de baroque allemand, de constructions italiennes, portugaises, françaises. La candidature de Belem sera rejetée, elle ne sera pas inscrite au patrimoine mondial classé par l’Unesco. Ce mélange de constructions fut le critère dissuasif.

07/12/2008

UN AUTRE BRESIL OCT 2008 - Fortaleza

Nous n’avions qu’une matinée pour aller à la rencontre de Fortaleza. Nous avions atteint au cœur de la ville, à l’heure où la lumière du matin commençait à chauffer les pierres des petites maisons couleurs pastel du Centre Culturel Dragão do Mar « Dragon des Mers ». Il faisait beau, le soleil s'avançait, se répandait sur les larges pavés de la place.

Impeccablement alignés, les fauteuils de l’orchestre attendaient dans le plus grand silence ce public qui ne manquerait pas de venir s’y asseoir. A l’heure où nous y étions, les portes avaient été fermées pour ne pas perturber la climatisation. Je ne savais pas qu’il était interdit de pousser les battants de la porte d’entrée. Le gardien en avait interdit l’accès, il me le fit savoir avec un brin de nervosité, mais la photo « était dans la boîte » !

Fortaleza possédait son théâtre, le théâtre José de Alencar. Son architecte l’avait imaginé et créé avec des structures métalliques en fonte importées d’Écosse, ses fenêtres étaient agrémentées de vitraux colorés. Nous ne verrions pas Manaus et son fameux opéra, Manaus où un Maestro superbe de mes amis avait dirigé, mais ce petit théâtre avait bien du charme.

L’escalier en colimaçon menait à une construction toute blanche de style néo-classique qui abritait le foyer. Sa façade donnait sur la Praca Jose de Alencar face au littoral où, le soir venu, venaient se promener les habitants de la capitale du Cearà.

A l'heure où la lumière commençait à révéler leurs formes, les balcons du « théâtre-jardin » de Fortaleza, tels les hublots d’un paquebot, s’ouvraient sur une cour intérieure. Une ferronnerie de dentelle ajourée donnait une impression de légèreté. Il fallait reconnaître qu’elle était l’œuvre d’un artiste accompli.

A Fortaleza, dans l’intensité d’un ciel bleu triomphant, resplendissaient les mosaïques du centre culturel Dragão do Mar, en hommage au jangadeiro Francisco José do Nascimento, l´un des principaux leaders du mouvement abolitionniste du Ceara.

Production typique et délicieuse du Ceará, l’artiste avait voulu que les noix de cajou figurent dans son œuvre. Mosaïques aux dessins naïfs, aux couleurs éclatantes que le soleil rendait encore plus attirantes. Gourmandises que nous n’aurions pas le temps de goûter sur les étals du grand marché, "l'Emcetur".

Le centre culturel Dragão do Marest est un site historique et culturel situé au cœur de la ville. Tout–à–coup l’audace d’une structure, un enchevêtrement métallique dessiné avec rigueur, au travers duquel l’on pouvait apercevoir un immeuble aux façades de verre. Chapeauté de petits toits pointus, il reflétait en vagues bleues des images silencieuses, comme un flottement des formes soulignées d’ombre et de lumière.

Dans le port de Fortaleza, assis au bout du môle qui s'avançait dans la mer, les pêcheurs s'étaient installés. Ne restaient, fichés, hérissés dans les profondeurs de l'eau que des poteaux en ciment qui avaient dû soutenir en d'autres temps une plus large jetée. S'y infiltraient des fils de métal grêlés d’un léger picot de rouille.

05/12/2008

UN AUTRE BRESIL - OCT 2008 - Jericoacoara

Le village de Jericoacoara était un lieu paisible, malgré la renommée de sa plage, classée première sur les dix plus belles au monde. Et pourtant, elle était presque inconnue qui bordait le littoral à l'ouest du Ceara. Un petit village de pêcheurs où chevaux, ânes et mulets venaient paître à marée basse. Au loin, minuscules silhouettes, comme dessinées d'un simple trait, les barques attendaient le retour de la marée. Couronnée de nuages moutonneux, on pouvait apercevoir la "Duna do Funil", la plus haute dune de l'état du Ceara.
Nous allions vers Pedra Furada, ce coucher de soleil qui s'inscrirait dans une roche percée où venaient battre les vagues ourlées d'écume blanche. Nous marchions en des instants où la volonté n’avait pas sa place, seule la beauté nous guidait vers une lumière qui sans cesse évoluait. La vie était là, sans préparation.
Nous avons traversé le village de Jericoacoara, ici pas de rues, mais des chemins sablonneux. L’heure était venue d’aller assister au coucher du soleil. Sur le sentier escarpé qui surplombait la mer, hérissé de longs cactus, deux chevaux scellés attendaient. Plus tard, le bruit sourd de leur galop enfla à nos oreilles et les deux cavaliers qui les montaient, nous croisèrent puis disparurent à l’horizon, dans un ciel qui s’embrasait de fulgurances orangées.

Nous avons marché un long moment sur le chemin de sable qui bordait la mer, juste un chemin tranquille où d'immenses cactus avaient choisi de pousser là, étonnamment, courageusement, les racines enfouies dans le sable. En bas quelques vagues dont le murmure arrivait jusqu'à nous, s'approchaient du sable.

Sur la route de Jerico, dans la station de Camocim au milieu des sables, nous avons fait halte. Ici l’on dégustait des jus de fruits pressés au pilon, sur l’instant, et l’on passait à table sous les paillotes, bien à l’abri d’un soleil brûlant. Mais ce qui était original c’est que les clients avaient les pieds dans l’eau, tout comme les garçons du service qui se déchaussaient pour aller les servir.

Nous avions quitté Paranaïba et notre bien accueillante Posada de Ventos. Un premier bac nous avait fait franchir la rivière Coreau. Sur la plage de Guriù, entre Tatajuba et Jerico, celui-ci était le second que nous emprunterions, beaucoup plus archaïque. La plateforme de planches disjointes avancerait par la seule force d'une pagaye de bois maniée par un homme qui la plantait au fond de l'eau.

Les sacs avaient été chargés dans les landrovers "Camel Trophee". La piste que nous allions emprunter longeait la mer. C'était fantastique, je ressentais un immense sentiment de liberté. Notre chauffeur s'appelait Baptiste. Nous pouvions lui faire confiance, il avait les bras suffisamment musclés pour tenir le volant dans les dunes. Nous nous sommes élancés sur le sable humide, avons longé la mer un long moment. De fortes odeurs de vase, de marées nous arrivaient aux narines.

Arbre déraciné, bois flotté que les flots avaient déposés là. Anciennes mangroves que la mer avait désertées. En leur temps de splendeur, elles avaient pris racine dans le sable, organes respiratoires d'une végétation luxuriante. Ne restaient plus d'elles que des squelettes de bois morts hérissés. Nous poursuivions notre chemin en bord de mer, il nous conduirait jusqu'au désert des Lençois.