23/06/2009

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

Venu du fond des âges, immobile à jamais, statue de pierre qui veille sur Karnak, le jeune roi Toutankhamon. Il était adossé, magnifique, sur ce qui restait d'un mur. Son passage sur sa terre égyptienne ne fut que de courte durée. De constitution frêle, il est sans doute mort d’une blessure infectée à la hanche, au cours d’une bataille ou d’une chasse. Sa tombe fut profanée une toute première fois, dix ans après sa mort, mais sans trop de dégâts. Elle fut simplement refermée et les voleurs punis sévèrement. Je me suis attardée près de lui où le soleil laissait glisser ses rayons.

Dans une « pièce secrète » du temple de Karnak, mais dont je ne vous révélerai pas l’emplacement exact, ce ne serait plus un secret, l'Ibis sacré se tenait là, magnifique avec son bec semblable à une plume pour écrire. Vénéré par les égyptiens, il était la représentation déifiée d'un dieu lunaire, Thot, le scribe. Il fut un temps bien lointain où l'on rencontrait des ibis sur les bords du Nil. Mais ils ont aujourd'hui disparu.

Un moment de repos pour cet homme dans sa longue djellaba, un gardien sans doute. Pensif et paisible, il était assis sur une pierre en ce lieu superbe. Il était chez lui à Karnak, temple élevé à la gloire du dieu Amon. Etait-il possible de croire cependant qu'il avait servi longtemps de carrière aux villageois.
Karnak n’est pas seulement un temple. Il se compose de sanctuaires, de kiosques, de pylônes, d’obélisques. Ces trois jeunes filles ne semblaient pas se soucier de la divinité des lieux. Comment résister à l’invitation de ces niches de pierre aux colonnes gravées ? L’instantané d’une scène de théâtre où le souffle porte les mots, les rires, les voix. Trois jeunes filles pleines de fraîcheur jouaient avec bonheur et se donnaient la réplique sans nous prêter attention.

Sur le dromos, devant le premier pylône du temple de Karnak, l'allée des 40 sphinx aux corps de lions, aux têtes de béliers aux cornes retournées. Ils étaient considérés comme les gardiens du temple. Entre les pattes de chacun, en signe de protection, une statuette de Pharaon Ramses II qui tient le signe "ankh", symbole de la vie. Le bélier était, dit-on, l’animal préféré du dieu Amon.
Immobiles, hiératiques, plongés dans le silence, ils observent ceux qui passent et s’immiscent un instant, un instant seulement dans leur éternité.

Il fut un temps où les temples de Louxor et de Karnak furent reliés par un « dromos ». Il est difficile d’imaginer que plus de sept cents sphinx s’alignaient de part et d’autre. Les anciens égyptiens l'appelaient le "harem d'Amon".

16/06/2009

EGYPTE INTIME ET INSOLITE

La construction du Temple de Louxor, aujourd’hui situé en pleine ville, fut commencée par Aménophis III et poursuivie par Ramsès II. Ce dernier, dont l’ego était sur-dimensionné, n’eut aucun scrupule à usurper la colossale statue d’Amenophis III. C’est ainsi que l’on pénètre dans l’enceinte du temple par le pylône de Ramsès II. Mais ne dit-on pas que « tout orgueil précède la chute » et les mutilations infligées par le temps à Pharaon eurent malheureusement raison de sa superbe.

Sur les flancs du trône sur lequel se tient Ramsès II, près de la Colonnade d'Amenhotep III, est gravée une représentation du « Sema-Taouy », ce qui signifie la « Réunion des Deux-Terres ». Les deux génies de l'Inondation, "les hâpy" (représentations divines du Nil), lient le lis et le papyrus, les deux plantes héraldiques de Haute et de Basse-Égypte en un superbe symbole de paix et de prospérité.

Devant la tête gigantesque d'Amenothep III (?) tombée à terre, un homme tout de blanc vêtu semblait se recueillir, ou s’interrogeait-il devant la grandeur et la perfection divine. La pensée de l'un en cet instant rejoignait-elle la mémoire de l'autre ?

La colonnade processionnelle d'Amenhotep III fut construite pour les festivités de la triade thébaine. Quatorze colonnes "papyriformes"s la composent. Durant 22 jours en période d’été, avaient lieu des processions durant lesquelles les statues des divinités quittaient Karnak pour Louxor, par l'allée des sphinx. C'était la fête de l'Opet où les fidèles se purifiaient, faisaient des offrandes et … dansaient en ces jours de ferveur et de liesse.

Le temple de Louxor était dédié à la triade thébaine composée d'Amon-Rê, de son épouse Mout et de son fils Khonsou. Il est directement relié au temple de Karnak, centre du culte principal d'Amon-Rê, le dieu du ciel. La salle d'Amenhotep III est hypostyle, ce qui signifie que son plafond est soutenu par des colonnes. Elle en contient 32 en forme de papyrus, regroupées et disposées par quatre.

Le long règne d'Amenhotep III dura, on le suppose, 38 ans et fut une ère infiniment prospère. Le roi aimait les arts, l'architecture monumentale. Ainsi il chargea son vizir Amenhotep de construire temples et palais, de Louxor à Karnak et en Nubie, dont il nous était donné aujourd’hui d’admirer les puissants vestiges, d’écouter le murmure des pierres par la voix de Soliman notre guide.

Perchée à plusieurs mètres de haut, à l’entrée du temple d’Amon, une étonnante présence celle de la petite mosquée d’Abou el-Haggag dotée de son fin minaret. Elle repose sur le temple millénaire qu’elle surplombe et date probablement du milieu de l'ère fatimide. Chaque visiteur qui passe ici ne peut que s’interroger devant un tel contraste de l’histoire des cultures et des religions. Nous venions de pénétrer dans le Temple de Louxor.

Nous avons quitté "La Jasmine" à bord du petit bateau-navette qui portait le nom d’un grand paquebot, mais dont nous avons tout de suite espéré que l’issue n’en serait pas aussi fatale. Il allait nous conduire à la découverte de Louxor et de Karnak, de l’autre côté du Nil, rive droite, en Haute Égypte. Un après-midi qui serait totalement consacré à ces deux sites, ces lieux que je ne connaissais pas encore et que je laisserais venir à moi, sous un soleil presque au zénith, tandis qu’incroyablement nous venions d’apprendre "qu’il avait neigé sur Le Caire !"
Je ne suis pas professeur d’histoire, encore moins égyptologue, alors je ne vous ferai pas de cours, pas de grands et brillants exposés sur ces merveilles dont je vous offre ici quelques photos. Quelques mots peut-être, mais juste pour vous les situer, vous dire combien il pouvait être irrésistible, fascinant de poser sa main, d’effleurer ces pierres du bout de ses doigts, à l’heure où le soleil les rendait brûlantes, où leurs ombres se frôlaient en silence.

15/06/2009

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

Un soir que nous regagnions la cabine, nous nous trouvâmes nez à nez avec un curieux passager clandestin. Coiffé de sa casquette, ses lunettes de soleil chevauchant son nez d’éponge, ses jumelles sur sa poitrine douillette, sa bouteille d’eau appuyée sur sa hanche, il attendait notre retour. Chaque soir, ces superbes sculptures d’éponge, fleurs de lotus, couples de cygnes blancs… attendraient qu’à la nuit, nous revenions au bercail.


Petit salon aux murs lattés de bois, dont la fenêtre ouvrait sur le Nil, douce lumière, tendres couleurs, petits coussins et table d’écriture pour les accrocs aux mots et aux merveilles. Déjà un vêtement, un sac, un paréo, « marquaient ce territoire » que nous venions de faire nôtre, les yeux remplis de convoitise pour cet espace qui accueillerait nos rires, nos bavardages, nos silences, au cours des jours et des nuits à venir.

De chaque côté de l’unique coursive se distribuaient les portes de nos cabines. J’ai glissé la clef dans la serrure de l'une d'elles (la 300 si vous voulez tout savoir) et nous sommes entrées, Denise et moi. Qui est Denise ? Une nouvelle venue parmi nous, sensible au bonheur et à la bonne humeur ! A l’intérieur il y faisait frais et nous avons soupiré d’aise.

C’est dans le salon d’accueil où trônait un bar, quelque peu déserté de bouteilles, que nous avons été invités à nous asseoir. Sur un plateau que l’un des membres de l’équipage nous tendait, des verres à Ricard remplis d’un cocktail de bienvenue frais et délicieux. Tandis que nous le sirotions à petites gorgées, Olivier, notre « capitaine sur terre », nous expliqua ce que serait la vie à bord. Nous aurions, entre autre, le droit de nous approcher « gratuitement » du bar... uniquement pour les boissons sans alcool ! Puis il nous distribua les clefs de nos cabines, les clefs d’un petit paradis rien que pour nous. Nous venions de pénétrer dans un rêve tout éveillé. A son bord, « La Jasmine » nous invitait à poursuivre le voyage.

La petite embarcation-taxi s’est approchée tout contre le flanc aux volets ouverts sur le Nil. L’équipage était là pour nous accueillir en haut de la passerelle. Pour nous, tout était encore inconnu, les visages comme les lieux. Nous allions vivre durant une semaine sur cette magnifique "dahabieh "et je me sentis traversée par un petit vertige d’exubérance joyeuse, qui me venait du plaisir que j’éprouvais en cet instant précis.

Après avoir passé une fort bonne nuit dans le train Le Caire/Louxor, un bus nous avait conduits de la gare en un lieu sur le Nil où nous savions que notre dahabieh nous attendait, comme nous étions impatients nous-mêmes de la découvrir. C’est à bord d’un petit bateau que nous avons rejoint « La Jasmine », à quai de l’autre côté du Nil.

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

Le temps était brumeux, quelques palmiers poussiéreux s’étaient échoués et s’enfonçaient inexorablement dans le sable. D’eux le courage avait déserté et la vie avait renoncé. Bientôt ils ne pourraient plus entrevoir la lumière. Leurs troncs étaient hérissés de pointes asséchées, dangereuses pour qui s’approcheraient de trop près.

Le profil inquiétant de la mère me fit me tenir sur mes gardes. Mais j’avais promis qu’un jour je caresserais cette énorme tête laineuse à la mâchoire puissante, au blatèrement à vous faire frissonner l'échine et j'en sortis victorieuse, promesse tenue.

Une méharée s’était arrêtée non loin de notre campement. Ils ne tarderaient pas à reprendre la piste, accompagnés du petit chamelon qui tétait encore sa mère. Ils marcheraient sans hâte de leur allure chaloupée. Doucement, très doucement, je me suis approchée, j’ai tendu ma main et l’ai posée sur la petite tête qui se cachait à l’abri des longues jambes, sous le flanc rassurant de sa mère.

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

Nous étions prêts à partir, à quitter ces lieux et les rendre à leur grand silence. Seule une tempête pourrait les en faire sortir, faire chanter les grains de sable. Le temps était venu de la dernière photo. Nous avons voulu, Denise, ma compagne de "toutes ces nuits", de tous ces jours, et moi rendre hommage à ce Désert Blanc auquel nous avions rêvé.

Le pouvoir d’évocation de ces successions éparpillées de champignons de craie, de ces volatiles de tailles et de formes si différentes, était surprenant. De là où je me tenais, je les observais tendre « leurs visages" vers un soleil matinal.


Le 4x4 attendait solitaire, garé devant une sculpture d’un blanc immaculé, lumineux, presque insoutenable. Le désert s’éveillait avec force et lenteur où la vue portait au loin en une ligne d'horizon crémeuse. Des rumeurs me parvinrent, elles venaient du campement dont je m’étais éloignée. Notre équipe préparait le petit déjeuner, à l’abri des tentures multicolores tendues entre nos véhicules.

Combien de couchers de soleil auxquels nous avions assisté, émerveillés devant ce brûlant pourvoyeur ivre de couleurs et de lumières, qui multipliait à l’infini son insolente gloire. Mais ce soir où nous étions au cœur du Désert Blanc et profitions des dernières lueurs d’un jour qui s’achevait, la lune en son lever nous offrait un spectacle incomparable qui touchait à l’infini. Instant fragile où un humble Pierrot poète aurait pu se recueillir pour entendre les secrets de "Madame la Lune," coquette souveraine toute de soie vêtue.

Ces paysages étaient superbes, étranges, ils nous enveloppaient peu à peu et tandis que nous roulions, chacun se prenait à rêver et chacun a les rêves qu’il peut ! A l’arrière quelqu’une se mit à rêver tout haut, ivresse passagère, savoureux mirage,
- C’est Pâques et je vous assure que je tremperais bien ma cuillère dans ces îles flottantes !
Tout d’abord nous avons ri aux éclats. Mais elle n’avait pas tort, cela pouvait ressembler à des merveilles pâtissières, capables de contenter le pantagruélique appétit d’un géant des sables. Les gourmands ne manquent pas d’imagination.


Tout au long de ce jour, un jeudi saint, nous avions traversé d’immenses dunes, la Montagne de Cristal, des chemins de sable doré, des pistes caillouteuses, puis avions atteint au Désert Noir, collines de basalte, dunes coiffées de taches noires. Après avoir franchi la passe d’Al Sillim, ce fut une descente dans le sable mou, où, chacun à leur tour, vinrent se ranger nos 4x4. Il fallait avant tout éviter qu’ils ne s’ensablent. Devant était la beauté en une « offrande naturelle », des sentinelles aux formes étranges se dressaient loin à l’horizon, sédiments lacustres de carbonate, cônes sculptés par le vent, grès et calcaire intimement unis. Nous nous enfoncions dans ce sable avec délice, comme dans la poudreuse. Nous savions qu’au soir nous bivouaquerions dans ce décor au charme lunaire, semblable à Tatooïne, cette autre planète surgie d’une galaxie de « Star Wars ».

14/06/2009

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

A Qarat Qasr Salim dans l’oasis d’Al Bahariyah, là où avaient été découverts les tombeaux de la famille libyenne de Bannentiu, des jeunes filles et jeunes gens attendaient leur tour pour pénétrer à l’intérieur. Nous rentrions par petits groupes et j’avais bien failli me passer de cette visite. Je n’avais pas mon ticket d’entrée. Soliman avait eu beau faire et dire, mais les gardiens avaient crié plus fort et n’avaient pas cédé. Alors je dus refaire le chemin à l’envers en plein soleil pour aller le chercher.

10/06/2009

EGYPTE INSOLITE ET INTIME






Pour arriver jusqu’à l’oasis d’Al-Bahariyah, nous avions roulé sur une ancienne route, puis une piste qui traversait les dunes du désert noir. Enfin, nous étions au seuil du Désert Blanc. Notre journée serait celle des tombeaux et des temples. A Qarat Sakim il y avait peu de lumière dans la tombe des Bannentiou, mais les couleurs, les dessins des bas reliefs étaient magnifiques.
Nous sommes descendus dans le tombeau de cette famille libyenne. Il y faisait lourd, l'air était raréfié, mais nous l'avons oublié parce que la beauté de ce que nous découvrions pouvait nous faire supporter ces quelques désagréments. D’autant que dans le second tombeau, au plus profond où nous avions enjambé un petit muret, nous venions de découvrir, sans l’ombre d’un doute, assis au bord de trois niches, trois de nos "adeptes" de la veille au soir en méditation. Suffoqués puis vite hilares, nous nous sommes demandés si, au bivouac du soir au cœur du Désert Blanc, nous ne les retrouverions pas devant nos tentes, chacun assis sur une pierre !

09/06/2009

EGYPTE INSOLITE ET INTIME

Au cœur de la palmeraie de Siwah, se trouvait une source appelée « Bain de Cléopâtre ». C’était un immense bassin de forme ronde, profond, quelques marches de pierre en permettaient l’accès. Bien sûr nous aurions aimé, comme la reine Cléopâtre, plonger dans cette eau fraîche. Mais si la reine y venait, elle ne devait être entourée que de ses femmes…. alors qu’autour de ce bassin pour nous, il en était tout autre. Seuls quelques jeunes garçons s’élançaient en courant pour plonger, dans une gerbe d’eau qui éclaboussait la margelle de pierre.

Comme les petits des animaux, que les mères protègent en les entourant, en les cachant au milieu du troupeau, le petit garçon, curieux, se tenait auprès des femmes à la corpulence généreuse. Il attendait son tour avec sa mère, l’instant où il pourrait peut-être demander le fruit qu’il convoitait, tout en essayant de plonger son regard entre les voiles de la femme devant lui.

A Al-Bahariyah coulaient des sources chaudes, sulfureuses et minérales. Monté ces quelques marches et, derrière, se trouvait un bassin, mais nous n'avons plongé que le doigt pour nous assurer de la température. L'eau était peu engageante, voire trouble. C’était le soir, tout était sombre, pas un bruit… Alors, après avoir cherché et découvert le bouton électrique, la lumière jaillit, éclairant brutalement quelques silhouettes en méditation, assises au bord du bassin. Aussitôt allumée, aussitôt éteinte fut la lumière, mais ne s’éteignit pas le fou rire qui nous secoua à en perdre le souffle.

Appuyé sur ses sacs de grosse toile, dans un poudroiement de soleil, il était sans impatience et regardait les passants qui marchaient dans la torpeur qui s’installait peu à peu. A quoi pouvait-il bien songer en se tenant le menton, qu’il avait cerné de barbe noire quelque peu clairsemée.

L’enfant plissait les ailes de son nez en me fixant sans un sourire. Etait-ce juste l’éclat du soleil qui incommodait son regard, ou voulait-il me faire comprendre sa réprobation pour une photo à laquelle il n’avait pas eu le temps de se soustraire ? J’en fus troublée et ne pus lui offrir que mon sourire pour qu'il me pardonne, si c'était le cas.

Tandis que Soliman achetait deux régimes de bananes, nous allions d’un étal à l’autre du marché aux fruits et aux légumes. Entièrement voilée, dans cet air qui commençait à vibrer de chaleur, une femme était assise. Son visage était incliné vers le sol et je n’aperçus d’elle que la frange de ses sourcils et la naissance du nez. J’ai souhaité alors que les voiles qui l’enfermaient de la tête aux pieds puissent laisser passer un peu de cet air chargé du parfum des fruits qu’elle vendait.